Connemara de Nicolas Mathieu

Connemara de Nicolas Mathieu est un livre que j’avais hâte de lire et je n’ai pas été déçue !

Le résumé par l’éditeur (ici)

Mon avis

Coup de coeur pour ce roman racontant une histoire improbable de retrouvailles entre deux copains de lycée. Les chapitres alternent entre période actuelle (ce qu’ils sont devenus) et l’époque de leur adolescence. Improbable car ils évoluent dans des mondes différents : Hélène a brillamment réussi ses études et est devenue consultante dans une grosse boite de conseil. Christophe, lui, est resté au pays et est devenu vendeur de croquettes pour animaux. L’une a apparemment réussi sa vie et dans la vie, l’autre a un peu tout raté : sa vie conjugale, sa carrière sportive….

Nicolas Mathieu porte un regard très critique sur la société. Le roman se situe dans l’Est de la France, juste avant l’élection présidentielle de 2017. Un moment charnière entre l’ancien et le nouveau monde voulu par le locataire de l’Elysée. L’auteur est particulièrement juste lorsqu’il décrit le monde de l’entreprise. Au fil des pages, il zoome sur les protagonistes et dézoome sur leur environnement socio-économique. Je n’en dis pas plus, ce roman m’a donné tant de plaisir que je souhaite plutôt en citer des passages.

Extraits

…tous les outils de reporting qu’on leur imposait depuis qu’Erwann faisait la chasse au gaspi et voulait raffiner les process, ce qui revenait à justifier le moindre déplacement, renseigner les tâches les plus infimes dans des tableaux cyclopéens, trouver dans des menus déroulants illimités l’intitulé cryptique correspondant à des activités jadis impondérables, et perdre ainsi chaque jour une heure à justifier les huit autres.

Tu peux pas leur foutre une raclée parce qu’ils sont moins intelligents que toi et se la pètent toute la sainte journée au prétexte qu’ils ont fait trois quarts d’heure de Sciences Po y a quinze ans. Moi aussi, je traite sans arrêt avec ces gens-là, les petits chefs, les placardisés qui veulent s’essuyer les pieds sur un presta pour prouver qu’ils existent, des blaireaux qui n’ont pas eu une idée originale depuis 1981.

Avec cette fusion des régions, le pouvoir central avait rêvé une fois de plus l’avènement d’une efficacité politique introuvable depuis presque cinquante ans. Mais il fallait pour cela bousculer des baronnies antédiluviennes. Le résultat était à la hauteur des attentes. On voyait partout des habitudes quasi préhistoriques se heurter horriblement dans le chaudron de la nécessaire homogénéisation des pratiques.

Depuis qu’elle est entrée chez WKC, Hélène a parfois l’impression que la planète toute entière est aux mains de ces petits hommes en costumes bleus qui viennent dans chaque entreprise, dans les grands groupes et les administrations, pour démontrer à coups de diagnostics irrévocables l’inadéquation des êtres et des nombres, expliquer aux salariés ce qu’ils font, comment il faudrait faire mieux, accompagner les services RH toujours à la ramasse et apporter leurs lumières à des décideurs invariablement condamnés à des gains d’efficacité, forçats de la productivité, damnés du résultat opérationnel.

Mais la chose la mieux partagée restait encore cette rage sourde des délimitations. Car ici comme ailleurs, la liberté ne se concevait qu’enclose d’où ces herses obligatoires, haies de tuyas, grilles de métal, rangées de bambou et palissades amoureusement lasurées. Chaque propriété, en fixant son périmètre, organisait un dehors et un dedans, des espaces entre lesquels la frontière n’était jamais tout à fait hermétique, mais qui autorisait l’assomption d’un règne, celui du chez-soi.

Il fallait désormais se montrer pragmatique, faire avec le monde tel qu’il est, s’atteler à des défis et des challenges, libérer et innover, s’ouvrir bien sûr. Si révolutionnaire qu’il fût, ce nouveau mouvement n’en avait pas moins conservé la vieille manie des infinitifs. Quoi qu’il en soit, ces mots d’ordre gagnait à la cause du nouveau candidat de vastes parts de l’opinion se trouvant parfaitement à l’aise avec ce vocabulaire où elles baignaient d’ailleurs toute la journée. Dans des meetings archi-combles, c’était en fin de compte les mêmes objectifs que dans les réunions stratégiques, le même vocabulaire de manager, la même morale de team building et de dépassement, une vision pour le pays qui recoupait celle du coach et du CEO, des arguments pour la France qui ressemblaient à ceux d’une force de vente, l’esprit corporate finalement étendu à la République.

Ma note : 5/5 coup de coeur !

Clique ici pour voir mon avis sur “Leurs enfants après eux” du même auteur.

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